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Avec ‘’La traite des morts’’, Seth Moché Kanlinsou dévoile les nouvelles chaînes au développement de l’Afrique

Seth Moché Kanlinsou, écrivain béninois engagé, présente son troisième ouvrage ‘’La traite des morts’’, une œuvre qui explore les drames contemporains de l’immigration clandestine, du néocolonialisme et des luttes socio-politiques en Afrique. À travers cette interview exclusive avec Chic-infos, Seth Moché Kanlinsou partage sa démarche, ses inspirations et ses convictions.

L’intégralité de l’interview avec Seth Moché Kanlinsou

Qu’est-ce qui vous a inspiré à écrire La traite des morts ?

La traite des morts est le fruit de cette volonté de rendre justice aux migrants, de laisser un témoignage réel de leur vécu et de traiter de façon à la fois scientifique, mais romanesque, des causes et des phénomènes qui conduisent au départ massif des jeunes africains, notamment subsahariens vers des pays occidentaux, à travers la Méditerranée, le Sahel et le Sahara. Cette volonté nait du constat macabre de la situation qui a prévalu en Libye et qui a connu son apogée en 2017 où des migrants subsahariens étaient vendus aux enchères sur des marchés clandestins, mais aussi du fait de l’expansion du trafic d’organes et d’êtres humains dans les pays du Maghreb à partir des années 2011 après la chute du guide suprême de la Libye, le Colonel Kadhafi.

Pourquoi avez-vous choisi La traite des morts comme titre ?

Au milieu des dizaines de titres qui me sont passés par l’esprit lors de l’écriture de ce livre, La traite des morts a sonné comme une évidence. Dans une Afrique sévèrement marquée par la colonisation, la traite transatlantique mais aussi barbaresque ou arabo-musulmane, il était important d’actualiser les faits et de faire remarquer à nos contemporains qu’il y a une nouvelle traite qui est en cours; une traite qui ne dit pas son nom, et qui se manifeste par le départ parfois volontaire des bras valides vers les mêmes entités qui autrefois nous ont assujettis à travers un système de dumping social qui ne dit pas son nom.

Lorsqu’on s’intéresse de près aujourd’hui à l’immigration clandestine, on remarque que ce phénomène porte des traits similaires avec la traite transatlantique. Lorsque vous prenez les mutilations, les sévices divers et l’utilisation de la mort comme moyen de dissuasion, vous comprendrez très rapidement que nous sommes dans un schéma où des Africains aujourd’hui, partent d’eux-mêmes vers des contrées où ils seront quoiqu’il arrive, utilisés comme une force de travail, exactement comme au 17e siècle, au 18e siècle. C’est en cela qu’aujourd’hui, je traite la question de l’immigration clandestine exactement comme j’aurais traité celle de la traite négrière. La traite des morts parce que les personnes qui partent du continent africain en empruntant la Méditerranée, le Sahara et le Sahel, partent en ayant conscience du péril inévitable qui les attend. Ces gens-là sont prêts à braver la mort, à donner leur vie. Je considère qu’en eux, avant même de partir, l’espoir était mort. Et lorsque vous avez perdu l’espoir, l’espérance de pouvoir vivre dignement comme un humain, vous épanouir sur les terres qui vous ont vu naître, vous êtes déjà un homme mort. La traite fait référence directement aux horribles souffrances des migrants durant leur exode qui rappellent tristement la traite négrière. C’est en cela que le livre est baptisé, La traite des morts.

Vous critiquez fortement le néocolonialisme dans ce livre. En quoi selon vous, le néocolonialisme continue de freiner le développement de l’Afrique aujourd’hui ?

On est parfois unanime sur le fait que la colonisation a pris fin et que les pays africains ont recouvré leur indépendance. Mais il est plus subtil de remarquer comment les mécanismes de domination se sont mués en accords de coopération et plus largement en collaborations incestueuses entre les anciennes puissances colonisatrices et les anciennes colonies. Aujourd’hui, les pays occidentaux ont installé un rapport de domination et une relation totalement paternaliste avec les pays africains de telle sorte que les accords qui sont signés sont des accords de dupe où seules les métropoles et les multinationales trouvent leur compte au détriment des pays africains. Cela est d’autant plus justifiée que depuis la seconde guerre mondiale et l’avènement des accords de Bretton Woods, le monde ne s’est jamais porté aussi mal, un déséquilibre terrible s’est créé entre les Etats dits du Nord et ceux du Sud global. Et ça, c’est la manifestation ultime du néocolonialisme où on a créé un système de domination où seules les grandes nations ont le droit et la possibilité de s’exprimer dans le concert des nations au grand dam des anciens pays colonisés notamment en Afrique de l’ouest.

Cette nouvelle forme de domination qu’est le néocolonialisme se manifeste aussi à travers la domination économique et financière du continent, le contrôle de la géopolitique des matières premières, le désir de ralentir la démographie des pays africains. On empêche les africains de profiter des mêmes ressources qui ont permis pendant la révolution industrielle à l’Europe et l’occident de façon générale, de s’industrialiser en utilisant le levier de la lutte contre le réchauffement climatique. Tous ces facteurs réunis constituent aujourd’hui une forme de domination que nous nous devons de dénoncer avec la plus grande fermeté.

Le livre aborde la question des migrants subsahariens et le drame de la migration. Pourquoi avez-vous choisi d’en faire un thème central ?

L’Afrique du 21e siècle est confrontée à deux phénomènes majeurs qui entravent son développement et son épanouissement. Il s’agit du terrorisme et de l’immigration clandestine. Ces deux phénomènes ont un effet dévastateur sur la démographie africaine et sur l’équilibre des structures socio-économiques. J’ai choisi notamment d’aborder le thème de l’immigration parce que c’est celle-là qui touche exclusivement la jeunesse africaine.

Loin des appréhensions, ce phénomène est d’un cynisme déroutant, une tragédie pour notre époque. Nombre de ceux qui s’emparent de la question, ne l’aborde pas forcément de l’intérieur. Beaucoup de gens n’ont qu’une appréhension de ce que c’est que d’être migrant. J’ai eu la chance d’accueillir en 2017 chez-moi, des migrants qui ont fait la traversée du Sahel et du Méditerranée et passant par la Libye pour gagner les côtes européennes et leurs témoignages ont été déterminants dans l’écriture de ce livre qui est un témoignage immersif de la vie des migrants subsahariens. Une méconnaissance de ce phénomène reste un problème pour notre Afrique parce qu’on ne peut pas espérer résorber un problème sans en connaître dans les causes mais surtout les manifestations.

Vous parlez également de la corruption des élites africaines comme l’un des facteurs de l’échec de la prospérité sur le continent. Pensez-vous qu’il existe une solution viable à ce problème ?

S’il est évident qu’il n’y a pas de fumée sans feu, il est tout aussi important de marteler qu’il n’y a pas d’immigration clandestine sans corruption, sans mauvaise gouvernance et sans incompétence de la part des dirigeants africains. Cela est un fait. Il était important pour moi, de non seulement traiter de la question de l’immigration à travers le vécu des migrants, mais aussi d’aborder de façon scientifique les causes et les raisons qui poussent les jeunes africains à prendre le chemin de l’immigration. À travers mes recherches, il s’est avéré que la corruption endémique au sommet de l’État fait partie des raisons pour lesquelles les jeunes manquent d’emplois satisfaisants et par conséquent décident de partir.

Cette corruption endémique malheureusement se fait accompagner par d’autres phénomènes tous aussi exécrables tels que le népotisme, le clientélisme, les répressions sanglantes, l’instrumentation de la justice et dans certains cas, de la volonté même des dirigeants africains de maintenir leurs populations dans l’ignorance et la misère, pour pouvoir les contrôler et s’éterniser au pouvoir. Tous ces phénomènes conjugués concourent au départ inexorable des jeunes africains vers des contrées où ils se disent parfois à tort qu’ils auront une meilleure vie.

La solution réside à mon sens dans un changement radical à la tête des différents Etats concernés. Pas uniquement une alternance entre les acteurs politiques mais plutôt une révolution idéologique et paradigmatique qui place le sort et le bien-être des africains au centre de toutes les politiques publiques. Comme le dit l’adage :  »on est mieux servi que par soi-même ». On ne peut pas attendre indéfiniment que la vieille classe politique gérontocrate et corrompue opère les changements idoines dont notre génération a besoin. Ils ont pour la plupart baigné dans le système colonial et pactisé avec ce dernier. Ces gens-là sont pour la plupart sont cooptés par les puissances occidentales que ce soient les multinationales ou les chancelleries pour desservir et asservir leurs semblables. Donc je pense qu’une partie de la réponse se trouve dans les mains de la jeunesse africaine qui doit prendre ses responsabilités désormais en investissant de façon déterminée et irréversible dans l’arène politique pour incarner les changements que nous appelons de nos vœux.

Quelles actions concrètes proposez-vous pour que les jeunes africains restent sur le continent par choix, et non par contrainte ?

De façon personnelle, je plaide pour l’instauration au sein de la jeunesse africaine de ce que j’appelle le collectivisme économique. Si seuls, nous ne sommes pas capables d’investir et d’impacter nos économies significativement, ensemble, nous pouvons le faire. Nous pouvons créer de vraies structures capables de concurrencer les multinationales qui aspirent nos ressources pour leurs seuls intérêts. L’Africain doit comprendre aujourd’hui que seuls, nous sommes limités, mais qu’ensemble, nous pouvons porter des coups très sévères à ceux qui veulent nous voir croupir sous le joug de la pauvreté et de la misère. Nous devons également nous départir du réflexe bureaucrate qui nous pousse à fuir les métiers manuels et techniques pour rechercher encore et toujours des emplois dans des secteurs saturés et peu développés dans nos pays. Le reste dépend intrinsèquement des pouvoirs publics qui doivent créer le climat propices à l’érection et l’éclosion des génies et des potentialités.

Dans vos œuvres, vous parlez souvent d’unité africaine et de souveraineté. Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à l’unité africaine aujourd’hui ?

Nous devons en tant qu’Africains nous regarder dans la glace et nous dire aujourd’hui qu’il est temps d’arrêter de tout le temps, pointer du doigt les autres comme étant la source de nos problèmes. Nous devons aller au-delà des intérêts personnels pour promouvoir l’intérêt général de l’Afrique, qui consiste aujourd’hui à unifier les régions, à créer une intégration économique au sein du continent pour constituer un bloc civilisationnel à même de concurrencer les autres parties du monde. Le principal frein à ce dessein qui est pourtant inéluctable est l’avidité des chefs d’Etats qui préfèrent conserver leur autorité sur les enclos coloniaux faussement appelés pays mais qui ne sont en réalité que des préfectures du point de vue de la vraie histoire et sociologie africaine. Les influences exogènes pour accentuer les dissensions au sein des communautés n’est pas à négliger. Mais rien ne doit entraver notre détermination à nous réapproprier notre espace vitale ancestrale.

La traite des morts est votre troisième livre. Quelle évolution cette œuvre apporte à votre carrière d’écrivain ?

La traite des morts, est sans ambages mon œuvre scripturale la plus aboutie et la plus utile d’ailleurs pour la communauté en cela qu’elle aborde des thématiques cruciales pour la société africaine. Ce projet concrétise une vision politique et intellectuelle qui consiste à défendre les intérêts des pays africains avec les moyens dont je dispose aujourd’hui. Nous avons longtemps sous-estimé l’importance de l’écriture dans la survie d’une civilisation et il est temps de corriger cela. Ce livre est un outil qui va permettre à la jeunesse africaine de comprendre les forces en action sur le continent et l’influence nocive de certaines puissances sur nos économies, notre politique intérieure et in fine sur nos vies.

Cette œuvre change et détonne de tous les autres livres que j’ai écrits par son aspect éminemment politique et actuel. Il est un changement catégorique dans ma carrière d’écrivain qui, de plus en plus va se tourner vers la sphère géopolitique et de politique internationale. La traite des morts est une participation concrète à la mission générationnelle de réappropriation du narratif africain par les africains eux-mêmes.

Le nouveau livre est déjà en pré-vente, à quand précisément sa sortie officielle ?

L’annonce de la sortie du livre a connu un réel enthousiasme de la part des sympathisants et des lecteurs. La période de la pré-vente qui va s’achever dans quelques jours, a été un réel succès. C’est le lieu de remercier les dizaines de lecteurs qui ont précommandé le livre de partout dans le monde.

Le livre qui est déjà disponible dans de nombreuses librairies en France, sera lancé cette fin de mois de novembre avec une cérémonie de lancement. J’invite tous les africains à suivre mon actualité sur mes divers réseaux sociaux @Seth Moché pour participer à cet événement littéraire qui va marquer le début d’une nouvelle ère dans la littérature béninoise.

Avez-vous déjà des idées ou des projets pour un prochain livre ?

Il s’agira notamment pour moi de parler de la géopolitique de l’eau, qui sera un enjeu primordial pour l’Afrique dans les prochaines décennies. Il est important de se projeter, de comprendre que lorsque le problème de l’accès aux sources d’eau douce va se poser, alors l’Afrique rencontrera des défis encore plus colossaux que ceux qu’elle rencontre aujourd’hui. Il est important de se positionner en tant que pionnier sur ces questions. Mes prochains projets seront sans doute des essais qui traiteront de la nécessité pour le continent africain de rompre d’avec l’ancien monde, d’avec le système hérité de la seconde guerre mondiale et de contribuer au mettre sur pied un nouvel ordre mondial dans lequel les pays africains ont leur mot à dire dans le concert des nations.

Au-delà de la littérature, envisagez-vous d’élargir vos engagements politiques à un cadre plus formel, voire institutionnel ?

J’ai de plus en plus la ferme conviction que je suis appelé à servir mon pays. Et cela passera forcément par le cadre institutionnel. Nous sommes aujourd’hui à une étape où nous contribuons au sein de la société civile, à éveiller les consciences et à diffuser au sein des masses populaires l’idée de la nécessité d’une réforme de la société. Et cela est déjà une tâche importante. Mais je suis convaincu que les prochaines années nous verront accéder à des responsabilités qui nous permettront de changer les choses de façon rapide et efficace.

Roseline GOUNDJO
Roseline GOUNDJO
Je suis Roseline Goundjo, journaliste rédactrice et je trouve plaisir dans la culture, la musique, la lecture et les voyages. Partie des appréciations des interautes sur mes différents écrits sur des sujets relatifs à la société, le People et les relations internationales, j'ai pris l'engagement de toujours les satisfaire.
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